Depuis la loi du 20 août 2008 les organisations syndicales doivent, pour être représentatives, avoir recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel du CSE (C. trav. art. L. 2122-1).
Comment s’apprécie cette condition quand les syndicats ont formé une liste commune pour le scrutin ?
Dans un arrêt du 13 janvier 2010, la Cour de cassation répond que la répartition des suffrages se fait sur la base indiquée par les syndicats concernés, à condition qu’elle soit portée à la connaissance de l’employeur et des électeurs de l’entreprise ou de l’établissement concerné avant le déroulement des élections ; à défaut, la répartition s’opère à parts égales.
La difficulté juridique et sa solution légale
Quand les partenaires sociaux, avec la position commune du 9 avril 2008, puis, le législateur, avec la loi du 20 août 2008, ont décidé d’introduire dans les critères de représentativité une mesure de l’audience des organisations syndicales, la question des alliances électorales s’est immédiatement posée. Le but recherché dans les nouveaux textes était de s’assurer que chaque organisation appelée à négocier parlait bien au nom d’une partie du personnel qu’elle prétendait représenter. Dans cette optique, les listes communes posaient un problème appelant plusieurs réponses possibles.
Ou bien, estimant qu’elles obscurcissaient la vision du personnel, on les interdisait purement et simplement. Ou bien, au contraire on décidait que chacune des composantes de la liste pouvait se prévaloir du pourcentage obtenu par cette dernière. Ou bien encore, on adoptait un calcul de proportionnalité. La loi a opté pour cette dernière solution, en décidant que la répartition des suffrages exprimés entre les organisations syndicales se ferait sur la base indiquée par les organisations concernées, lors du dépôt de leur liste. À défaut d’indication, elle se fait à parts égales entre les organisations syndicales concernées (C. trav. art. L. 2122-3). La loi semble claire, mais comporte des lacunes, comme le fait apparaître l’affaire jugée par la Cour de cassation, le 13 janvier. Mot-Tech vous dresse le tableau de cette affaire.
L’opposabilité de la répartition choisie
Un établissement financier organise ses élections professionnelles à la fin de l’année 2008. Le syndicat FO et la CFE-CGC décident de faire liste commune et indiquent à la direction, au moment du dépôt de la liste, qu’ils se sont entendus, pour la répartition des suffrages, de la façon suivante : l’organisation Force ouvrière est réputée représenter 55 % des voix et la CFE-CGC 45 % , sauf si la totalité des suffrages obtenus atteint entre 20 et 23 % des voix, auquel cas, afin d’optimiser les résultats en assurant la représentativité aux deux organisations, la répartition se fera moitié-moitié. À l’arrivée, la liste commune n’obtient que 19,65 % des suffrages exprimés. Appliquant la règle de répartition prédéfinie, le syndicat FO estime avoir recueilli 10,81% (55% de 19,65%) des voix et donc franchi la barre fatidique des 10 %. Dans la foulée, la fédération désigne un DS. Cette désignation est immédiatement mise en cause par la CGT, qui conteste l’application de l’arrangement pris entre FO et la CFE- CGC, arrangement, il est vrai, resté confidentiel, puisque seuls la direction et les deux syndicats ayant fait alliance le connaissaient.
L’accord doit être pris et connu à l’avance
Pour défendre la validité de la désignation du DS, l’employeur et Force ouvrière font cause commune. La DRH atteste avoir bien eu connaissance, au moment du dépôt de la liste, de la clé de répartition convenue entre les deux syndicats. La CGT lui reproche de ne pas l’avoir affichée en même temps que la liste de candidats, mais l’employeur fait remarquer que la loi n’impose pas cette publicité. Les deux syndicats partenaires n’ayant pas souhaité la diffuser, il a donc cru pouvoir garder l’information secrète jusqu’aux résultats du scrutin. Le tribunal d’instance valide cette position et confirme le bien-fondé de la désignation du délégué syndical FO, mais sa décision est censurée.
La Cour de cassation rappelle tout d’abord que, « selon l’article L. 2122-3 du Code du travail, lorsqu’une liste commune a été établie par des organisations syndicales, la répartition entre elles des suffrages exprimés se fait sur la base indiquée par les organisations syndicales concernées lors du dépôt de leur liste, et, à défaut, à parts égales entre les organisations concernées ». Elle en déduit « que la répartition des suffrages, lorsque les syndicats formant une liste commune ont choisi qu’elle ne soit pas à parts égales, doit être portée tant à la connaissance de l’employeur qu’à celle des électeurs de l’entreprise ou de l’établissement concerné avant, le déroulement des élections, et, qu’à défaut, la répartition s’opère à parts égales ». Or, en répartissant les suffrages à parts égales entre eux, aucun des deux syndicats ne recueillait les 10 % nécessaires. La désignation du délégué syndical FO est donc annulée.
La transparence pour atteindre l’objectif légal
Dans cette décision, les Hauts magistrats ont visiblement voulu s’attacher à l’esprit plutôt qu’à la lettre de la loi, car cette exigence de publicité sur les clés de la répartition n’est, à l’évidence, pas inscrite « noir sur blanc » dans le Code du travail.
Mais retenir une interprétation littérale du texte présentait plusieurs inconvénients. D’abord, et sans prétendre que c’était ici le cas, en autorisant le secret des accords passés entre les syndicats réunis en une seule liste, on ne peut écarter le danger d’arrangements d’opportunité postélectoraux. « Ensuite, il semble normal que l’électeur qui choisit une liste sache exactement à quelle tendance il apporte son soutien, puisqu’en votant, non seulement il élit une personne qui va le représenter au comité social et économique, mais il appuie une organisation syndicale habilitée à négocier pour son compte toutes sortes d’accords qui vont régler son existence au sein de l’entreprise, y compris des accords dérogatoires. En comblant cette lacune de la loi, la Cour de cassation assure donc l’effectivité du droit des salariés à ce que les accords collectifs qui leur sont applicables soient négociés par des organisations syndicales qui ont reçu leur appui dans le cadre des élections professionnelles.